Vivre dans le passé est quelquechose que je fais très facilement. Là où certains diraient que le présent est ce qui compte par dessus tout, je considère qu’être submergée par une douce nostalgie, très souvent, est une bénédiction.
En dansant sur la ligne du temps, je puise dans ces racines du passé une matière riche et nourrissante pour les personnes qui me lisent. Ce matin, j’ignore pourquoi, je me suis rappelée de l’un de mes premiers voyages en Martinique, dont je suis originaire.
17h. Arrivée à l’aéroport du Lamentin. J’ai 7 ans. Mon corps, lui, ne sait plus vraiment l’heure qu’il est, après ce long voyage de 8h en avion. Bien sûr, je compte sur mes doigts: il est, dans mon corps, 1h du mat’. Là-bas, dans ma maison en métropole, c’est la nuit.
DECONNEXION & RECONNEXION
Je me rappelle précisément de la sensation que cela m’a fait de réaliser que dans la même journée, je pouvais être dans deux endroits si différents, si éloignés l’un de l’autre. Ma peau est moite. L’air chaud et humide me rappelle qu’ici, il est urgent que je troque mon pantalon contre un short et des tongues.
Je me rappelle aussi, alors que l’on passait un contrôle d’identité, avoir regardé à travers une baie vitrée de l’aéroport, au loin.
Je voyais un palmier, éclairé par le soleil et secoué par les alizés. Cette image banale restera gravée en moi à jamais et marque la limite entre ces 2 mondes. Le palmier, la chaleur, l’air humide, la vie exotique VS de l’autre côté de l’océan, le froid, la grisaille, le béton. Ces souvenirs sont, j’en suis certaine, inexacts.
Mais ils sont pourtant le reflet parfait de mes ressentis intimes: les vacances en Martinique étaient merveilleuses et le signe certain de déconnexion/reconnexion.
LORSQUE LE LIEN S’ETIOLE…
Au fil des années, ma relation avec la Martinique a changé. Ou peut-être est-ce moi qui ai changé tout simplement.
La Martinique est devenue une vieille amie avec qui je n’avais plus beaucoup de points communs. Comme si nous prenions 2 routes différentes. Je l’aimais bien mais… plus assez pour nourrir notre relation.
Je prenais ce qu’elle avait à m’offrir: ses délicieux plats, ses mots en créole, sa musique, son folklore. Mais j’ai peur de n’avoir plus rien ressenti pour elle.
Mon lien avec cette île est devenu gris terne. Oh, j’y suis retournée, de temps en temps, tout en restant à la surface de mes ressentis et de mes expériences. Je crois en fait que, ressentir mes émotions dans toute leur intensité, belles ou moches, n’a plus été à ma portée durant de nombreuses années. Il y avait fêlure.
Je n’avais plus l’espace en moi pour me laisser traverser par la puissance de cette terre ancestrale. Quand le corps ne peut plus accueillir de nouvelles émotions ou expériences, il se verrouille. Emotionnellement et physiquement. Protégons le navire du naufrage. Ne bougeons plus. Ne ressentons plus. Et ça passera.
… JUSQU’A L’IMMOBILISME
Mais l’immobilisme, c’est la survie temporaire. C’est la petite mort. Car la fêlure reste-là, intacte. La blessure n’attend qu’une chose: la guérison.
Les blessures sont pleines d’espoir. Elles croient intimement qu’elles ont la capacité à être réparées. Et elles ont raison.
Que faire de la fêlure? La considérer. Nommer son existence. Car ce que l’on tait finit toujours par nous rattrapper.
Et puis, on peut en prendre soin. Honorer ce qui a été cassé. Montrer beaucoup de respect et d’égard à ce qui nous (a) fait mal. Insuffler du Vivant et de l’Amour à cette partie. S’y connecter, par la respiration, la présence en conscience ou les mots.
Cette partie-là, cachée, est sensible à la moindre attention que vous lui porterez.
Elle n’attend qu’une chose (et souvent, depuis longtemps): la réconciliation par le lien.
Les coeurs en mille morceaux, les traumas, les souffrances du passé conditionnent largement la vie que vous avez aujourd’hui.
Oh oui, les événements datent peut-être… oh oui, c’est le passé, tournons la page… mais nous sommes si peu si nous ne soignons pas ce lien avec le passé.
Nous sommes tels des morts vivants, avançant dans la vie sans enracinement, sans ancrage, en équilibre précaire sur un pied. C’est super dur de se sentir en paix et en sécurité en créant sa vie ainsi.
LES LIENS NE SONT JAMAIS ROMPUS
Les liens sont toujours là, solidement tressés. Les liens à soi, à ses amis, à sa famille. A sa terre natale. Au lieu où l’on vit. A ceux qui ont fait partie de notre vie, dans ce Monde ou… ailleurs. Mais ils peuvent être négligés, en dormance, oubliés, refoulés.
Il ne tient qu’à nous de soigner ces liens pour leur permettre de nous nourrir et nous régénérer en grand.
Car ces liens, lorsqu’ils sont à leur juste place et entretenus, sont des sources essentielles et intarissables de ressources et de croissance.